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PARIS ET ROME.

Et il désignait du doigt un ancien mousquet à rouet, d’une forme rare.

— C’est un objet d’art, dit le chef.

Un autre insurgé, en cheveux gris, éleva la voix :

— En 1830, nous en avons pris de ces fusils-là, au musée d’artillerie.

Le chef repartit :

— Le musée d’artillerie appartenait au peuple.

Ils laissèrent le fusil en place.

À côté du mousquet à rouet pendait un long yatagan turc dont la lame était d’acier de Damas, et dont la poignée et le fourreau, sauvagement sculptés, étaient en argent massif.

— Ah ! par exemple, dit un insurgé, voilà une bonne arme. Je la prends. C’est un sabre.

— En argent ! cria la foule.

Ce mot suffit. Personne n’y toucha.

Il y avait dans cette multitude beaucoup de chiffonniers du faubourg Saint-Antoine, pauvres hommes très indigents.

Le salon faisait suite à la salle à manger. Ils y entrèrent.

Sur une table était jetée une tapisserie aux coins de laquelle on voyait les initiales du maître de la maison.

— Ah ça mais pourtant, dit un insurgé, il nous combat !

— Il fait son devoir, dit le chef.

L’insurgé reprit :

— Et alors, nous, qu’est-ce que nous faisons ?

Le chef répondit :

— Notre devoir aussi.

Et il ajouta :

— Nous défendons nos familles ; il défend la patrie.

Des témoins, qui sont vivants encore, ont entendu ces calmes et grandes paroles.

L’envahissement continua, si l’on peut appeler envahissement le lent défilé d’une foule silencieuse. Toutes les chambres furent visitées l’une après l’autre. Pas un meuble