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DEPUIS L’EXIL. — 1885.

vraie postérité, non point cette postérité des premières années, soumise à tant de modes et à tant de variations, mais la grande, l’éternelle, l’immuable postérité, celle où sont dans le rayonnement suprême Eschyle, Dante, Shakespeare et le grand Corneille.

Camille Pelletan :

Quelle vie et quelle œuvre ! Ce siècle en est rempli. — Peut-on parler du poëte qui a fait vibrer toutes les émotions, qui a donné à la strophe son plus prodigieux coup d’aile, et dont on ne peut résumer l’œuvre que par le titre qu’il a écrit sur une de ses œuvres : « Toute la Lyre ? »

Faut-il parler de l’écrivain ; — du plus prodigieux manieur de la langue française qui ait jamais existé ; — du Maître qui n’a pas seulement produit les plus étonnants chefs-d’œuvre, mais qui a encore créé le style et l’école littéraire du dix-neuvième siècle ?

Faut-il parler du génie profond, qui a donné de nouveaux accents à la pitié humaine, qui a traduit, par ce qu’il y a de plus puissant dans la langue, ce qu’il y a de plus profond dans la miséricorde pour tout ce qui souffre ; — de l’auteur de Claude Gueux et des Misérables, du poëte qui a chanté, toutes les déchéances ?

Faut-il enfin parler du combattant ? Faut-il rappeler comment l’homme, à qui il était si aisé et si glorieux de jouir d’une admiration incontestée, s’est jeté dans la bataille, du côté où il voyait l’idéal, le droit, le peuple, l’avenir ? Faut-il rappeler le proscrit, Titan enchaîné sur un rocher de l’océan, et défiant, écrasant de là le despote ? Faut-il rappeler ce grand cœur, qui seul, dans la hideuse folie de la guerre civile, plus encore, après la défaite, à l’heure de l’immense déroute qui charriait dans ses flots irrésistibles les derniers sentiments d’humanité…, faut-il rappeler l’homme qui alors, en pleine terreur, livra son front glorieux aux huées, se mit en travers des furieux et couvrit les proscrits de sa poitrine ?…

Comme Voltaire, il a remué le monde, parce qu’il l’a aimé.

Auguste Vitu :

C’en est fait, Victor Hugo « entré vivant dans la postérité », entre aujourd’hui glorieusement dans la mort.

Environné de l’admiration publique, consolé de ses épreuves passées et de ses douleurs domestiques par une popularité prodi-