Page:Hugo - La Fin de Satan, 1886.djvu/341

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Sa vie est à jamais mêlée a ce ciment.
Le fil qui nous rattache au monde dont nous sommes,
Et lie à travers l’ombre un homme aux autres hommes,
Se brise ici. Sans air, sans jour, sans point d’appui,
L’homme le sent flotter rompu derrière lui.

Un vivant n’est plus là qu’un rêve dans un gouffre.
Entrer là, c’est entrer dans de l’oubli. L’on souffre,
On rampe, on saigne, on râle, on crie ; on ne sait pas.
Le captif va, vient, tremble ; il fait de vagues pas,
Sent à son pied sa chaîne et s’arrête farouche,
Boit à sa cruche, mord à son pain noir, se couche,
Se lève, se rendort, tressaille, et, réveillé,
Dit : Où suis-je ? que suis-je ? et tâte un mur mouillé.

Il ne sait plus qu’il souffre, il ne sent plus qu’il pleure ;
Il semble à ce damné qu’il s’enfonce à chaque heure
Plus bas dans la prison, et que, dans lui vivant,
La prison chaque jour pénètre plus avant ;
La Bastille le tient ; hagard, il s’incorpore
A cet épouvantable et hideux madrépore ;
Morne, il constate, au froid toujours croissant du fer,
La transformation de son bagne en enfer ;
Il croit que l’heure est morte au-dessus de sa tête,
Et que l’éternité dans son cachot s’arrête.
Est-ce que son œil voit ? est-ce que son cœur bat ?
Il s’accoude des mois entiers sur son grabat,
Ecoutant dans un coin filer quelque araignée.