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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

C’est que l’un est la griffe et que l’autre est la serre ;
Tous deux vont à la messe et disent leur rosaire ;
Ils n’en passent pas moins pour avoir fait tous deux
Dans l’enfer un traité d’alliance hideux ;
On va même jusqu’à chuchoter à voix basse,
Dans la foule où la peur d’en haut tombe et s’amasse,
L’affreux texte d’un pacte entre eux et le pouvoir
Qui s’agite sous l’homme au fond du monde noir ;
Quoique l’un soit la haine et l’autre la vengeance,
Ils vivent côte à côte en bonne intelligence ;
Tous les peuples qu’on voit saigner à l’horizon
Sortent de leur tenaille et sont de leur façon ;
Leurs deux figures sont lugubrement grandies
Par de rouges reflets de sacs et d’incendies ;
D’ailleurs, comme David, suivant l’usage ancien,
L’un est poëte, et l’autre est bon musicien ;
Et les déclarant dieux, la renommée allie
Leurs noms dans les sonnets qui viennent d’Italie.
L’antique hiérarchie a l’air mise en oubli ;
Car, suivant le vieil ordre en Europe établi,
L’empereur d’Allemagne est duc, le roi de France
Marquis ; les autres rois ont peu de différence ;
Ils sont barons autour de Rome, leur pilier,
Et le roi de Pologne est simple chevalier ;
Mais dans ce siècle on voit l’exception unique
Du roi sarmate égal au césar germanique.
Chacun s’est fait sa part ; l’allemand n’a qu’un soin,
Il prend tous les pays de terre ferme au loin ;