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LA LÉGENDE DES SIÈCLES.

Que font-ils là, debout et droits ? Qu’attendent-ils ?
L’aveuglement remplit l’armet aux durs sourcils.
L’arbre est là sans la séve et le héros sans l’âme ;
Où l’on voit des yeux d’ombre on vit des yeux de flamme ;
La visière aux trous ronds sert de masque au néant ;
Le vide s’est fait spectre et rien s’est fait géant ;
Et chacun de ces hauts cavaliers est l’écorce
De l’orgueil, du défi, du meurtre et de la force ;
Le sépulcre glacé les tient ; la rouille mord
Ces grands casques, épris d’aventure et de mort,
Que baisait leur maîtresse auguste, la bannière ;
Pas un brassard ne peut remuer sa charnière ;
Les voilà tous muets, eux qui rugissaient tous,
Et, grondant et grinçant, rendaient les clairons fous ;
Le heaume affreux n’a plus de cri dans ses gencives ;
Ces armures, jadis fauves et convulsives,
Ces hauberts, autrefois pleins d’un souffle irrité,
Sont venus s’échouer dans l’immobilité,
Regarder devant eux l’ombre qui se prolonge,
Et prendre dans la nuit la figure du songe.

Ces deux files, qui vont depuis le morne seuil
Jusqu’au fond où l’on voit la table et le fauteuil,
Laissent entre leurs fronts une ruelle étroite ;
Les marquis sont à gauche et les ducs sont à droite ;
Jusqu’au jour où le toit que Spignus crénela,
Chargé d’ans, croulera sur leur tête, ils sont là,