Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 1.djvu/251

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
225
ÉVIRADNUS.

De l’air d’un lion pris qui trouve son issue :
« Hé ! dit-il, je n’ai pas besoin d’autre massue ! »
Et, prenant aux talons le cadavre du roi,
Il marche à l’empereur, qui chancelle d’effroi ;
Il brandit le roi mort comme une arme, il en joue,
Il tient dans ses deux poings les deux pieds, et secoue
Au-dessus de sa tête, en murmurant : Tout beau !
Cette espèce de fronde horrible du tombeau,
Dont le corps est la corde et la tête la pierre.
Le cadavre éperdu se renverse en arrière,
Et les bras disloqués font des gestes hideux.

Lui, crie : « Arrangez-vous, princes, entre vous deux.
Si l’enfer s’éteignait, dans l’ombre universelle,
On le rallumerait, certe, avec l’étincelle
Qu’on peut tirer d’un roi heurtant un empereur. »

Sigismond, sous ce mort qui plane, ivre d’horreur,
Recule, sans la voir, vers la lugubre trappe ;
Soudain le mort s’abat et le cadavre frappe… —
Éviradnus est seul. Et l’on entend le bruit
De deux spectres tombant ensemble dans la nuit.
Le preux se courbe au seuil du puits, son œil y plonge,
Et, calme, il dit tout bas, comme parlant en songe :
« C’est bien ! disparaissez, le tigre et le chacal ! »