Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/215

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Emportant, dans le bruit des aquilons sifflants,
Dix mille hommes, fourmis éparses dans ses flancs,
Ce Titan se rua, joyeux, dans la tempête ;
Du dôme de Saint-Paul son mât passait le faîte ;
Le sombre esprit humain, debout sur son tillac,
Stupéfiait la mer qui n’était plus qu’un lac ;
Le vieillard Océan, qu’effarouche la sonde,
Inquiet, à travers le verre de son onde,
Regardait le vaisseau de l’homme grossissant ;
Ce vaisseau fut sur l’onde un terrible passant ;
Les vagues frémissaient de l’avoir sur leurs croupes ;
Ses sabords mugissaient ; en guise de chaloupes,
Deux navires pendaient à ses portemanteaux ;
Son armure était faite avec tous les métaux ;
Un prodigieux câble ourlait sa grande voile ;
Quand il marchait, fumant, grondant, couvert de toile,
Il jetait un tel râle à l’air épouvanté
Que toute l’eau tremblait, et que l’immensité
Comptait parmi ses bruits ce grand frisson sonore ;
La nuit, il passait rouge ainsi qu’un météore ;
Sa voilure, où l’oreille entendait le débat
Des souffles, subissant ce gréement comme un bât,
Ses hunes, ses grelins, ses palans, ses amures,
Étaient une prison de vents et de murmures ;
Son ancre avait le poids d’une tour ; ses parois
Voulaient les flots, trouvant tous les ports trop étroits ;
Son ombre humiliait au loin toutes les proues ;
Un télégraphe était son porte-voix ; ses roues