Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/55

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Sixte Malaspina, derrière le roi, songe ;
Toute lèvre se rue à l’ivresse et s’y plonge ;
On achève un mourant en perçant un tonneau ;
L’œil croit, parmi les os de chevreuil et d’agneau,
Aux tremblantes clartés que les flambeaux prolongent,
Voir des profils humains dans ce que les chiens rongent ;
Des chanteurs grecs, portant des images d’étain
Sur leurs chapes, selon l’usage byzantin,
Chantent Ratbert, césar, roi, vainqueur, dieu, génie ;
On entend sous les bancs des soupirs d’agonie ;
Une odeur de tuerie et de cadavres frais
Se mêle au vague encens brûlant dans les coffrets
Et les boîtes d’argent sur des trépieds de nacre ;
Les pages, les valets, encor chauds du massacre,
Servent dans le banquet leur empereur, ravi
Et sombre, après l’avoir dans le meurtre servi ;
Sur le bord des plats d’or on voit des mains sanglantes ;
Ratbert s’accoude avec des poses indolentes ;
Au-dessus du festin, dans le ciel blanc du soir,
De partout, des hanaps, du buffet, du dressoir,
Des plateaux où les paons ouvrent leurs larges queues,
Des écuelles où brûle un philtre aux lueurs bleues,
Des verres, d’hypocras et de vin écumants,
Des bouches des buveurs, des bouches des amants,
S’élève une vapeur, gaie, ardente, enflammée,
Et les âmes des morts sont dans cette fumée.