Page:Hugo - La Légende des siècles, 1e série, édition Hetzel, 1859, tome 2.djvu/70

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Mon enfant ! tous les jours nous allions dans les lierres.
Tu disais : « Vois les fleurs, » et moi : « Prends garde aux pierres. »
Et je la regardais, et je crois qu’un rocher
Se fût attendri rien qu’en la voyant marcher.
Hélas ! avoir eu foi dans ce monstrueux drôle !
Mets ta tête adorée auprès de mon épaule.
Est-ce que tu m’en veux ? C’est moi qui suis là ! Dis,
Tu n’ouvriras donc plus tes yeux du paradis !
Je n’entendrai donc plus ta voix, pauvre petite !
Tout ce qui me tenait aux entrailles me quitte ;
Et ce sera mon sort, à moi, le vieux vainqueur,
Qu’à deux reprises Dieu m’ait arraché le cœur,
Et qu’il ait retiré de ma poitrine amère
L’enfant, après m’avoir ôté du flanc la mère !
Mon Dieu, pourquoi m’avoir pris cet être si doux ?
Je n’étais pourtant pas révolté contre vous,
Et je consentais presque à ne plus avoir qu’elle.
Morte ! et moi, je suis là, stupide, qui l’appelle !
Oh ! si je n’avais pas les bras liés, je crois
Que je réchaufferais ses pauvres membres froids ;
Comme ils l’ont fait souffrir ! La corde l’a coupée.
Elle saigne. »

Ratbert, blême et la main crispée,
Le voyant à genoux sur son ange dormant,
Dit : « Porte-glaive, il est ainsi commodément. »