Page:Hugo - La Légende des siècles, 2e série, édition Hetzel, 1877, tome 2.djvu/270

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Et c'est pourquoi, vivants, je valais mieux que l'homme ;
Je connaissais Athène et j'ignorais Sodome.
Les Grecs disaient de moi : Le bronze est un héros.
J'étais Jupiter, Mars, Pallas, Diane, Éros ;
On me voyait durer autant qu'un vers d'Eschyle ;
Et j'étais pour les Grecs la chair du grand Achille.
Ces populaces, foule aux yeux pleins de clarté,
Honoraient ma noirceur et ma virginité ;
Les portefaix de Sparte et les marchandes d'herbes
Ne me regardaient point sans devenir superbes,
Et j'étais à tel point l'âme de la cité
Que les petits enfants bégayaient : Liberté !

Aujourd'hui, sur un socle, en vos places publiques
Pour qui le ciel n'a plus que des rayons obliques,
Vous mettez la statue énorme d'un pasquin
Qui devient un colosse et reste un mannequin,
D'un chenapan, d'un gueux qui prend un air d'archonte
Et qui se drape avec orgueil dans de la honte.
C'est de l'opprobre altier et qui se tient debout.
On monte au Panthéon par le trou de l'égout.
Les voilà tous, Magnan, puis Delangle, Espinasse,
Puis Troplong, ce qui rampe avec ce qui menace,
Spectres hideux qu'entoure, en plein air, au soleil,
Le brouhaha des voix inutiles, pareil
À l'agitation du vent dans les branchages.