Page:Hugo - Les Misérables Tome IV (1890).djvu/158

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travers les déchirures des vêtements on distinguait des tatouages, des temples de l’amour, des cœurs enflammés, des Cupidons. On apercevait aussi des dartres et des rougeurs malsaines. Deux ou trois avaient une corde de paille fixée aux traverses du haquet, et suspendue au-dessous d’eux comme un étrier, qui leur soutenait les pieds. L’un d’eux tenait à la main et portait à sa bouche quelque chose qui avait l’air d’une pierre noire et qu’il semblait mordre ; c’était du pain qu’il mangeait. Il n’y avait là que des yeux secs, éteints, ou lumineux d’une mauvaise lumière. La troupe d’escorte maugréait, les enchaînés ne soufflaient pas ; de temps en temps on entendait le bruit d’un coup de bâton sur les omoplates ou sur les têtes ; quelques-uns de ces hommes bâillaient ; les haillons étaient terribles ; les pieds pendaient, les épaules oscillaient ; les têtes s’entre-heurtaient, les fers tintaient, les prunelles flambaient férocement, les poings se crispaient ou s’ouvraient inertes comme des mains de morts ; derrière le convoi, une troupe d’enfants éclatait de rire.

Cette file de voitures, quelle qu’elle fût, était lugubre. Il était évident que demain, que dans une heure, une averse pouvait éclater, qu’elle serait suivie d’une autre, et d’une autre, et que les vêtements délabrés seraient traversés, qu’une fois mouillés, ces hommes ne se sécheraient plus, qu’une fois glacés, ils ne se réchaufferaient plus, que leurs pantalons de toile seraient collés par l’ondée sur leurs os, que l’eau emplirait leurs sabots, que les coups de fouet ne pourraient empêcher le claquement des mâchoires, que la chaîne continuerait de les tenir par le cou, que leurs pieds