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L'ARGOT.

fur ; cadène, chaîne, catena. Il y a un mot qui reparaît dans toutes les langues du continent avec une sorte de puissance et d’autorité mystérieuse, c’est le mot magnus ; l’Écosse en fait son mac, qui désigne le chef du clan, Mac-Farlane, Mac-Callummore, le grand Farlane, le grand Callummore[1] ; l’argot en fait le meck, et plus tard le meg, c’est-à-dire Dieu. Veut-on du basque ? Voici gahisto, le diable, qui vient de gaïztoa, mauvais ; sorgabon, bonne nuit, qui vient de gabon, bonsoir. Veut-on du celte ? Voici blavin, mouchoir, qui vient de blavet, eau jaillissante ; ménesse, femme (en mauvaise part), qui vient de meinec, plein de pierres ; barant, ruisseau, de baranton, fontaine ; goffeur, serrurier, de goff, forgeron ; la guédouze, la mort, qui vient de guenn-du, blanche-noire. Veut-on de l’histoire enfin ? L’argot appelle les écus les maltèses, souvenir de la monnaie qui avait cours sur les galères de Malte.

Outre les origines philologiques qui viennent d’être indiquées, l’argot a d’autres racines plus naturelles encore et qui sortent pour ainsi dire de l’esprit même de l’homme.

Premièrement, la création directe des mots. Là est le mystère des langues. Peindre par des mots qui ont, on ne sait comment ni pourquoi, des figures. Ceci est le fond primitif de tout langage humain, ce qu’on en pourrait nommer le granit. L’argot pullule de mots de ce genre, mots immédiats, créés de toute pièce on ne sait où ni par qui, sans étymologies, sans analogies, sans dérivés, mots solitaires, barbares, quelquefois hideux, qui ont une singulière puis-

  1. Il faut observer pourtant que mac en celte veut dire fils.