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LES MISÉRABLES. — L’ÉPOPÉE RUE St-DENIS.

Je parle ici sans méchante intention et pour l’acquit de ma conscience. Recevez, Père éternel, l’assurance de ma considération distinguée. Ah ! par tous les saints de l’olympe et par tous les dieux du paradis, je n’étais pas fait pour être parisien, c’est-à-dire pour ricocher à jamais, comme un volant entre deux raquettes, du groupe des flâneurs au groupe des tapageurs ! J’étais fait pour être turc, regardant toute la journée des péronnelles orientales exécuter ces exquises danses d’Égypte lubriques comme les songes d’un homme chaste, ou paysan beauceron, ou gentilhomme vénitien entouré de gentilles-donnes, ou petit prince allemand fournissant la moitié d’un fantassin à la confédération germanique, et occupant ses loisirs à faire sécher ses chaussettes sur sa haie, c’est-à-dire sur sa frontière ! Voilà pour quels destins j’étais né ! Oui, j’ai dit turc, et je ne m’en dédis point. Je ne comprends pas qu’on prenne habituellement les turcs en mauvaise part ; Mahom a du bon ; respect à l’inventeur des sérails à houris et des paradis à odalisques ! N’insultons pas le mahométisme, la seule religion qui soit ornée d’un poulailler ! Sur ce, j’insiste pour boire. La terre est une grosse bêtise. Et il paraît qu’ils vont se battre, tous ces imbéciles, se faire casser le profil, se massacrer, en plein été, au mois de juin, quand ils pourraient s’en aller, avec une créature sous le bras, respirer dans les champs l’immense tasse de thé des foins coupés ! Vraiment, on fait trop de sottises. Une vieille lanterne cassée que j’ai vue tout à l’heure chez un marchand de bric-à-brac me suggère une réflexion : Il serait temps d’éclairer le genre humain. Oui, me revoilà triste ! Ce que c’est que d’avaler