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Un Juste.

du manteau d’Élie, il ne projetait aucun rayon d’avenir sur le roulis ténébreux des événements, il ne cherchait pas à condenser en flamme la lueur des choses, il n’avait rien du prophète et rien du mage. Cette âme humble aimait, voilà tout.

Qu’il dilatât la prière jusqu’à une aspiration surhumaine, cela est probable ; mais on ne peut pas plus prier trop qu’aimer trop ; et, si c’était une hérésie de prier au delà des textes, sainte Thérèse et saint Jérôme seraient des hérétiques.

Il se penchait sur ce qui gémit et sur ce qui expie. L’univers lui apparaissait comme une immense maladie ; il sentait partout de la fièvre, il auscultait partout de la souffrance, et, sans chercher à deviner l’énigme, il tâchait de panser la plaie. Le redoutable spectacle des choses créées développait en lui l’attendrissement ; il n’était occupé qu’à trouver pour lui-même et à inspirer aux autres la meilleure manière de plaindre et de soulager. Ce qui existe était pour ce bon et rare prêtre un sujet permanent de tristesse cherchant à consoler.

Il y a des hommes qui travaillent à l’extraction de l’or ; lui, il travaillait à l’extraction de la pitié. L’universelle misère était sa mine. La douleur partout n’était qu’une occasion de bonté toujours. Aimez-vous les uns les autres ; il déclarait cela complet, ne souhaitait rien de plus, et c’était là toute sa doctrine. Un jour, cet homme qui se croyait « philosophe », ce sénateur, déjà nommé, dit à l’évêque : — Mais voyez donc le spectacle du monde ; guerre de tous contre tous ; le plus fort a le plus d’esprit. Votre