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La Chute.

lampe l’éclairait d’un côté, le feu de l’autre. On l’examina quelque temps pendant qu’il défaisait son sac.

L’hôte lui dit : — Voilà du feu. Le souper cuit dans la marmite. Venez vous chauffer, camarade.

Il alla s’asseoir près de l’âtre. Il allongea devant le feu ses pieds meurtris par la fatigue ; une bonne odeur sortait de la marmite. Tout ce qu’on pouvait distinguer de son visage sous sa casquette baissée prit une vague apparence de bien-être mêlée à cet autre aspect si poignant que donne l’habitude de la souffrance.

C’était d’ailleurs un profil ferme, énergique et triste. Cette physionomie était étrangement composée ; elle commençait par paraître humble et finissait par sembler sévère. L’œil luisait sous les sourcils comme un feu sous une broussaille.

Cependant un des hommes attablés était un poissonnier qui, avant d’entrer au cabaret de la rue de Chaffaut, était allé mettre son cheval à l’écurie chez Labarre. Le hasard faisait que le matin même il avait rencontré cet étranger de mauvaise mine cheminant entre Bras d’Asse et… (j’ai oublié le nom, je crois que c’est Escoublon). Or, en le rencontrant, l’homme, qui paraissait déjà très fatigué, lui avait demandé de le prendre en croupe ; à quoi le poissonnier n’avait répondu qu’en doublant le pas. Ce poissonnier faisait partie, une demi-heure auparavant, du groupe qui entourait Jacquin Labarre, et lui-même avait raconté sa désagréable rencontre du matin aux gens de la Croix-de-Colbas. Il fit de sa place au cabaretier un signe imperceptible. Le cabaretier vint à lui. Ils échangèrent quelques paroles