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Les Misérables. — Fantine.

main, une expression rude, hardie, fatiguée et violente dans les yeux. Le feu de la cheminée l’éclairait. Il était hideux. C’était une sinistre apparition.

Madame Magloire n’eut pas même la force de jeter un cri. Elle tressaillit, et resta béante.

Mademoiselle Baptistine se retourna, aperçut l’homme qui entrait et se dressa à demi d’effarement ; puis, ramenant peu à peu sa tête vers la cheminée, elle se mit à regarder son frère, et son visage redevint profondément calme et serein.

L’évêque fixait sur l’homme un œil tranquille.

Comme il ouvrait la bouche, sans doute pour demander au nouveau venu ce qu’il désirait, l’homme appuya ses deux mains à la fois sur son bâton, promena ses yeux tour à tour sur le vieillard et les femmes, et, sans attendre que l’évêque parlât, dit d’une voix haute :

— Voici. Je m’appelle Jean Valjean. Je suis un galérien. J’ai passé dix-neuf ans au bagne. Je suis libéré depuis quatre jours et en route pour Pontarlier qui est ma destination. Quatre jours que je marche depuis Toulon. Aujourd’hui, j’ai fait douze lieues à pied. Ce soir, en arrivant dans ce pays, j’ai été dans une auberge, on m’a renvoyé à cause de mon passe-port jaune que j’avais montré à la mairie. Il avait fallu. J’ai été à une autre auberge. On m’a dit : Va-t-en ! Chez l’un, chez l’autre. Personne n’a voulu de moi. J’ai été à la prison, le guichetier n’a pas ouvert. J’ai été dans la niche d’un chien. Ce chien m’a mordu et m’a chassé, comme s’il avait été un homme. On aurait dit qu’il savait qui j’étais. Je m’en suis allé dans les champs pour coucher