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Les Misérables. ― Fantine.

général dorées avec de larges étoiles argentées ; des taches rouges figuraient du sang ; le reste du tableau était de la fumée et représentait probablement une bataille. Au bas on lisait cette inscription : Au sergent de Waterloo.

Rien n’est plus ordinaire qu’un tombereau ou une charrette à la porte d’une auberge. Cependant le véhicule ou, pour mieux dire, le fragment de véhicule qui encombrait la rue devant la gargote du Sergent de Waterloo, un soir du printemps de 1818, eût certainement attiré par sa masse l’attention d’un peintre qui eût passé là.

C’était l’avant-train d’un de ces fardiers, usités dans les pays de forêts, et qui servent à charrier des madriers et des troncs d’arbres. Cet avant-train se composait d’un massif essieu de fer à pivot où s’emboîtait un lourd timon, et que supportaient deux roues démesurées. Tout cet ensemble était trapu, écrasant et difforme. On eût dit l’affût d’un canon géant. Les ornières avaient donné aux roues, aux jantes, aux moyeux, à l’essieu et au timon, une couche de vase, hideux badigeonnage jaunâtre assez semblable à celui dont on orne volontiers les cathédrales. Le bois disparaissait sous la boue et le fer sous la rouille. Sous l’essieu pendait en draperie une grosse chaîne digne de Goliath forçat. Cette chaîne faisait songer, non aux poutres qu’elle avait fonction de transporter, mais aux mastodontes et aux mammons qu’elle eût pu atteler ; elle avait un air de bagne, mais de bagne cyclopéen et surhumain, et elle semblait détachée de quelque monstre. Homère y eût lié Polyphème et Shakespeare Caliban.

Pourquoi cet avant-train de fardier était-il à cette place dans la rue ? D’abord, pour encombrer la rue ; ensuite pour