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LES MISÉRABLES. — FANTINE.

Arrivé au bureau de police qui était une salle basse chauffée par un poêle et gardée par un poste, avec une porte vitrée et grillée sur la rue, Javert ouvrit la porte, entra avec la Fantine, et referma la porte derrière lui, au grand désappointement des curieux qui se haussèrent sur la pointe du pied et allongèrent le cou devant la vitre trouble du corps de garde, cherchant à voir. La curiosité est une gourmandise. Voir, c’est dévorer.

En entrant, la Fantine alla tomber dans un coin, immobile et muette, accroupie comme une chienne qui a peur.

Le sergent du poste apporta une chandelle allumée sur une table. Javert s’assit, tira de sa poche une feuille de papier timbré et se mit à écrire.

Ces classes de femmes sont entièrement remises par nos lois à la discrétion de la police. Elle en fait ce qu’elle veut, les punit comme bon lui semble, et confisque à son gré ces deux tristes choses qu’elles appellent leur industrie et leur liberté. Javert était impassible ; son visage sérieux ne trahissait aucune émotion. Pourtant il était gravement et profondément préoccupé. C’était un de ces moments où il exerçait sans contrôle, mais avec tous les scrupules d’une conscience sévère, son redoutable pouvoir discrétionnaire. En cet instant, il le sentait, son escabeau d’agent de police était un tribunal. Il jugeait. Il jugeait et il condamnait. Il appelait tout ce qu’il pouvait avoir d’idées dans l’esprit autour de la grande chose qu’il faisait. Plus il examinait le fait de cette fille, plus il se sentait révolté. Il était évident qu’il venait de voir commettre un crime. Il venait de voir, là dans la rue, la société, représentée par un propriétaire-