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  L’affaire Champmathieu. 445

quelque chose l’attirait. Ce qui se passait en lui, personne ne pourrait le dire, tous le comprendront. Quel homme n’est entré, au moins une fois en sa vie, dans cette obscure caverne de l’inconnu ?

Du reste il n’avait rien résolu, rien décidé, rien arrêté, rien fait. Aucun des actes de sa conscience n’avait été définitif. Il était plus que jamais comme au premier moment.

Pourquoi allait-il à Arras ?

Il se répétait ce qu’il s’était déjà dit en retenant le cabriolet de Scaufflaire, — que, quel que dût être le résultat, il n’y avait aucun inconvénient à voir de ses yeux, à juger les choses par lui-même ; — que cela même était prudent, qu’il fallait savoir ce qui se passerait ; — qu’on ne pouvait rien décider sans avoir observé et scruté ; — que de loin on se faisait des montagnes de tout ; qu’au bout du compte, lorsqu’il aurait vu ce Champmathieu, quelque misérable, sa conscience serait probablement fort soulagée de le laisser aller au bagne à sa place ; — qu’à la vérité il y aurait là Javert, et ce Brevet, ce Chenildieu, ce Cochepaille, anciens forçats qui l’avaient connu ; mais qu’à coup sûr ils ne le reconnaîtraient pas ; — bah ! quelle idée ! — que Javert en était à cent lieues ; — que toutes les conjectures et toutes les suppositions étaient fixées sur ce Champmathieu, et que rien n’est entêté comme les suppositions et les conjectures ; — qu’il n’y avait donc aucun danger.

Que sans doute c’était un moment noir, mais qu’il en sortirait ; — qu’après tout il tenait sa destinée, si mauvaise qu’elle voulût être, dans sa main ; — qu’il en était le maître. Il se cramponnait à cette pensée.