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  Contre-coup. 533

gorge, ses dents claquèrent, elle étendit les bras avec angoisse, ouvrant convulsivement les mains, et cherchant autour d’elle comme quelqu’un qui se noie, puis elle s’affaissa subitement sur l’oreiller. Sa tête heurta le chevet du lit et vint retomber sur sa poitrine, la bouche béante, les yeux ouverts et éteints.

Elle était morte.

Jean Valjean posa sa main sur la main de Javert qui le tenait, et l’ouvrit comme il eût ouvert la main d’un enfant, puis il dit à Javert :

— Vous avez tué cette femme.

— Finirons-nous ! cria Javert furieux. Je ne suis pas ici pour entendre des raisons. Économisons tout ça. La garde est en bas. Marchons tout de suite, ou les poucettes !

Il y avait dans un coin de la chambre un vieux lit en fer en assez mauvais état qui servait de lit de camp aux sœurs quand elles veillaient, Jean Valjean alla à ce lit, disloqua en un clin d’œil le chevet déjà fort délabré, chose facile à des muscles comme les siens, saisit à poigne-main la maîtresse-tringle, et considéra Javert. Javert recula vers la porte.

Jean Valjean, sa barre de fer au poing, marcha lentement vers le lit de Fantine. Quand il y fut parvenu, il se retourna, et dit à Javert d’une voix qu’on entendait à peine :

— Je ne vous conseille pas de me déranger en ce moment.

Ce qui est certain, c’est que Javert tremblait.

Il eut l’idée d’aller appeler la garde, mais Jean Valjean pouvait profiter de cette minute pour s’évader. Il resta donc, saisit sa canne par le petit bout, et s’adossa au chambranle de la porte sans quitter du regard Jean Valjean.