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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

mais personne n’y manque. Dans l’intérieur de cette roche, on va, on vient, on se couche, on se lève ; on y est en famille ; on y boit et on y mange ; on y a peur, chose terrible ! La peur excuse cette inhospitalité redoutable ; elle y mêle l’effarement, circonstance atténuante. Quelquefois même, et cela s’est vu, la peur devient passion ; l’effroi peut se changer en furie, comme la prudence en rage ; de là ce mot si profond : Les enragés de modérés. Il y a des flamboiements d’épouvante suprême d’où sort, comme une fumée lugubre, la colère. — Que veulent ces gens-là ? ils ne sont jamais contents. Ils compromettent les hommes paisibles. Comme si l’on n’avait pas assez de révolutions comme cela ! Qu’est-ce qu’ils sont venus faire ici ? Qu’ils s’en tirent. Tant pis pour eux. C’est leur faute. Ils n’ont que ce qu’ils méritent. Cela ne nous regarde pas. Voilà notre pauvre rue criblée de balles. C’est un tas de vauriens. Surtout n’ouvrez pas la porte. — Et la maison prend une figure de tombe. L’insurgé devant cette porte agonise ; il voit arriver la mitraille et les sabres nus ; s’il crie, il sait qu’on l’écoute, mais qu’on ne viendra pas ; il y a là des murs qui pourraient le protéger, il y a là des hommes qui pourraient le sauver, et ces murs ont des oreilles de chair, et ces hommes ont des entrailles de pierre.

Qui accuser ?

Personne, et tout le monde.

Les temps incomplets où nous vivons.

C’est toujours à ses risques et périls que l’utopie se transforme en insurrection, et se fait de protestation philosophique protestation armée, et de Minerve Pallas. L’utopie