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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

s’est mis là, il y est bien. Qu’il y reste. Fusillons-le sur place.

— Fusillez-moi, dit Enjolras.

Et, jetant le tronçon de sa carabine, et croisant les bras, il présenta sa poitrine.

L’audace de bien mourir émeut toujours les hommes. Dès qu’Enjolras eut croisé les bras, acceptant la fin, l’assourdissement de la lutte cessa dans la salle, et ce chaos s’apaisa subitement dans une sorte de solennité sépulcrale. Il semblait que la majesté menaçante d’Enjolras désarmé et immobile pesât sur ce tumulte, et que, rien que par l’autorité de son regard tranquille, ce jeune homme, qui seul n’avait pas une blessure, superbe, sanglant, charmant, indifférent comme un invulnérable, contraignît cette cohue sinistre à le tuer avec respect. Sa beauté, en ce moment-là augmentée de sa fierté, était un resplendissement, et, comme s’il ne pouvait pas plus être fatigué que blessé, après les effrayantes vingt-quatre heures qui venaient de s’écouler, il était vermeil et rose. C’était de lui peut-être que parlait le témoin qui disait plus tard devant le conseil de guerre : « Il y avait un insurgé que j’ai entendu nommer Apollon. » Un garde national qui visait Enjolras abaissa son arme en disant : « Il me semble que je vais fusiller une fleur. »

Douze hommes se formèrent en peloton à l’angle opposé à Enjolras, et apprêtèrent leurs fusils en silence.

Puis un sergent cria : — Joue.

Un officier intervint.

— Attendez.

Et s’adressant à Enjolras :