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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

encore ! Videz le vase ! penchez l’urne ! Il faut finir par y jeter son cœur.

Il y a quelque part dans la brume des vieux enfers un tonneau comme cela.

N’est-on pas pardonnable de refuser enfin ? Est-ce que l’inépuisable peut avoir un droit ? Est-ce que les chaînes sans fin ne sont pas au-dessus de la force humaine ? Qui donc blâmerait Sisyphe et Jean Valjean de dire : c’est assez !

L’obéissance de la matière est limitée par le frottement ; est-ce qu’il n’y a pas une limite à l’obéissance de l’âme ? Si le mouvement perpétuel est impossible, est-ce que le dévouement perpétuel est exigible ?

Le premier pas n’est rien ; c’est le dernier qui est difficile. Qu’était-ce que l’affaire Champmathieu à côté du mariage de Cosette et de ce qu’il entraînait ? Qu’est-ce que ceci : entrer dans le bagne, à côté de ceci : entrer dans le néant ?

Ô première marche à descendre, que tu es sombre ! Ô seconde marche, que tu es noire !

Comment ne pas détourner la tête cette fois ?

Le martyre est une sublimation, sublimation corrosive. C’est une torture qui sacre. On peut y consentir la première heure ; on s’assied sur le trône de fer rouge, on met sur son front la couronne de fer rouge, on accepte le globe de fer rouge, on prend le sceptre de fer rouge, mais il reste encore à vêtir le manteau de flamme, n’y a-t-il pas un moment où la chair misérable se révolte, et où l’on abdique le supplice ?

Enfin Jean Valjean entra dans le calme de l’accablement.

Il pesa, il songea, il considéra les alternatives de la mystérieuse balance de lumière et d’ombre.