Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/414

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
406
LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

Monsieur mon mari, monsieur mon papa, vous êtes des tyrans. Je vais le dire à grand-père. Si vous croyez que je vais revenir et vous faire des platitudes, vous vous trompez. Je suis fière. Je vous attends à présent. Vous allez voir que c’est vous qui allez vous ennuyer sans moi. Je m’en vais, c’est bien fait.

Et elle sortit.

Deux secondes après, la porte se rouvrit, sa fraîche tête vermeille passa encore une fois entre les deux battants, et elle leur cria :

— Je suis très en colère.

La porte se referma et les ténèbres se refirent.

Ce fut comme un rayon de soleil fourvoyé qui, sans s’en douter, aurait traversé brusquement de la nuit.

Marius s’assura que la porte était bien refermée.

— Pauvre Cosette ! murmura-t-il, quand elle va savoir…

À ce mot, Jean Valjean trembla de tous ses membres. Il fixa sur Marius un œil égaré.

— Cosette ! oh oui, c’est vrai, vous allez dire cela à Cosette. C’est juste. Tiens, je n’y avais pas pensé. On a de la force pour une chose, on n’en a pas pour une autre. Monsieur, je vous en conjure, je vous en supplie, monsieur, donnez-moi votre parole la plus sacrée, ne le lui dites pas. Est-ce qu’il ne suffit pas que vous le sachiez, vous ? J’ai pu le dire de moi-même sans y être forcé, je l’aurais dit à l’univers, à tout le monde, ça m’était égal. Mais elle, elle ne sait pas ce que c’est, cela l’épouvanterait. Un forçat, quoi ! on serait forcé de lui expliquer, de lui dire : C’est un homme