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Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/500

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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

bourgeois manqué, était irrémédiable ; il fut en Amérique ce qu’il était en Europe. Le contact d’un méchant homme suffit quelquefois pour pourrir une bonne action et pour en faire sortir une chose mauvaise. Avec l’argent de Marius, Thénardier se fit négrier.

Dès que Thénardier fut dehors, Marius courut au jardin où Cosette se promenait encore.

— Cosette ! Cosette ! cria-t-il. Viens ! viens vite. Partons. Basque, un fiacre ! Cosette, viens. Ah ! mon Dieu ! C’est lui qui m’avait sauvé la vie ! Ne perdons pas une minute ! Mets ton châle.

Cosette le crut fou, et obéit.

Il ne respirait pas, il mettait la main sur son cœur pour en comprimer les battements. Il allait et venait à grands pas, il embrassait Cosette : — Ah ! Cosette ! je suis un malheureux ! disait-il.

Marius était éperdu. Il commençait à entrevoir dans ce Jean Valjean on ne sait quelle haute et sombre figure. Une vertu inouïe lui apparaissait, suprême et douce, humble dans son immensité. Le forçat se transfigurait en Christ. Marius avait l’éblouissement de ce prodige. Il ne savait pas au juste ce qu’il voyait, mais c’était grand.

En un instant, un fiacre fut devant la porte.

Marius y fit monter Cosette et s’y élança.

— Cocher, dit-il, rue de l’Homme-Armé, numéro 7. Le fiacre partit.

— Ah ! quel bonheur ! fit Cosette, rue de l’Homme-Armé. Je n’osais plus t’en parler. Nous allons voir monsieur Jean.

— Ton père, Cosette ! ton père plus que jamais. Cosette,