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LES MISÉRABLES. — JEAN VALJEAN.

balayant les grandes, sondant les petites, à droite, à gauche, tantôt avec précaution et lentement, tantôt au pas de charge. La troupe enfonçait les portes des maisons d’où l’on avait tiré ; en même temps des manœuvres de cavalerie dispersaient les groupes des boulevards. Cette répression ne se fit pas sans rumeur et sans ce fracas tumultueux propre aux chocs d’armée et de peuple. C’était là ce qu’Enjolras, dans les intervalles de la canonnade et de la mousqueterie, saisissait. En outre, il avait vu au bout de la rue passer des blessés sur des civières, et il disait à Courfeyrac : — Ces blessés-là ne viennent pas de chez nous.

L’espoir dura peu ; la lueur s’éclipsa vite. En moins d’une demi-heure, ce qui était dans l’air s’évanouit, ce fut comme un éclair sans foudre, et les insurgés sentirent retomber sur eux cette espèce de chape de plomb que l’indifférence du peuple jette sur les obstinés abandonnés.

Le mouvement général qui semblait s’être vaguement dessiné avait avorté ; et l’attention du ministre de la guerre et la stratégie des généraux pouvaient se concentrer maintenant sur les trois ou quatre barricades restées debout.

Le soleil montait sur l’horizon.

Un insurgé interpella Enjolras :

— On a faim ici. Est-ce que vraiment nous allons mourir comme ça sans manger ?

Enjolras, toujours accoudé à son créneau, sans quitter des yeux l’extrémité de la rue, fit un signe de tête affirmatif.