Page:Hugo - Les Misérables Tome V (1890).djvu/83

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
81
LA GUERRE ENTRE QUATRE MURS.

son panier aux dents, se tordait, glissait, ondulait, serpentait d’un mort à l’autre, et vidait la giberne ou la cartouchière comme un singe ouvre une noix.

De la barricade, dont il était encore assez près, on n’osait lui crier de revenir, de peur d’appeler l’attention sur lui.

Sur un cadavre, qui était un caporal, il trouva une poire à poudre.

— Pour la soif, dit-il, en la mettant dans sa poche.

À force d’aller en avant, il parvint au point où le brouillard de la fusillade devenait transparent.

Si bien que les tirailleurs de la ligne rangés et à l’affût derrière leur levée de pavés, et les tirailleurs de la banlieue massés à l’angle de la rue, se montrèrent soudainement quelque chose qui remuait dans la fumée.

Au moment où Gavroche débarrassait de ses cartouches un sergent gisant près d’une borne, une balle frappa le cadavre.

— Fichtre ! fit Gavroche. Voilà qu’on me tue mes morts.

Une deuxième balle fit étinceler le pavé à côté de lui. Une troisième renversa son panier.

Gavroche regarda, et vit que cela venait de la banlieue.

Il se dressa tout droit, debout, les cheveux au vent, les mains sur les hanches, l’œil fixé sur les gardes nationaux qui tiraient, et il chanta :

On est laid à Nanterre,
C’est la faute à Voltaire ;
Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau.