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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

et en sortait, comme on passe d’une chambre de son appartement dans l’autre.

Ses vêtements ne séchaient plus. Ils étaient pénétrés d’eau de pluie qui ne tarissait pas et d’eau de mer qui ne sèche jamais. Gilliatt vivait mouillé.

Vivre mouillé est une habitude qu’on prend. Les pauvres groupes irlandais, vieillards, mères, jeunes filles presque nues, enfants, qui passent l’hiver en plein air sous l’averse et la neige blottis les uns contre les autres aux angles des maisons dans les rues de Londres, vivent et meurent mouillés.

Être mouillé et avoir soif ; Gilliatt endurait cette torture bizarre. Il mordait par moments la manche de sa vareuse.

Le feu qu’il faisait ne le réchauffait guère ; le feu en plein air n’est qu’un demi-secours ; on brûle d’un côté et l’on gèle de l’autre.

Gilliatt, en sueur, grelottait.

Tout résistait autour de Gilliatt dans une sorte de silence terrible. Il se sentait l’ennemi.

Les choses ont un sombre Non possumus.

Leur inertie est un avertissement lugubre.

Une immense mauvaise volonté entourait Gilliatt. Il avait des brûlures et des frissons. Le feu le mordait, l’eau le glaçait, la soif l’enfiévrait, le vent lui déchirait ses habits, la faim lui minait l’estomac. Il subissait l’oppression d’un ensemble épuisant. L’obstacle, tranquille, vaste, ayant l’irresponsabilité apparente du fait fatal, mais plein d’on ne sait quelle unanimité farouche, convergeait de toutes parts sur Gilliatt. Gilliatt le sentait appuyé inexorablement sur lui. Nul moyen de s’y soustraire. C’était presque quelqu’un. Gil-