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LE LABEUR

selon sa nature, est en quête ou en arrêt devant la nuit. Pour les uns c’est un refoulement ; pour les autres c’est une dilatation. Le spectacle est sombre. L’indéfinissable y est mêlé.

La nuit est-elle sereine ? C’est un fond d’ombre. Est-elle orageuse ? C’est un fond de fumée. L’illimité se refuse et s’offre à la fois, fermé à l’expérimentation, ouvert à la conjecture. D’innombrables piqûres de lumière rendent plus noire l’obscurité sans fond. Escarboucles, scintillations, astres, présences constatées dans l’ignoré ; défis effrayants d’aller toucher à ces clartés. Ce sont des jalons de création dans l’absolu ; ce sont des marques de distance là où il n’y a plus de distance ; c’est on ne sait quel numérotage impossible, et réel pourtant, de l’étiage des profondeurs. Un point microscopique qui brille, puis un autre, puis un autre, puis un autre ; c’est l’imperceptible, c’est l’énorme. Cette lumière est un foyer, ce foyer est une étoile, cette étoile est un soleil, ce soleil est un univers, cet univers n’est rien. Tout nombre est zéro devant l’infini.

Ces univers, qui ne sont rien, existent. En les constatant, on sent la différence qui sépare n’être rien de n’être pas.

L’inaccessible ajouté à l’impénétrable, l’impénétrable ajouté à l’inexplicable, l’inexplicable ajouté à l’incommensurable, tel est le ciel.

De cette contemplation se dégage un phénomène sublime : le grandissement de l’âme par la stupeur.

L’effroi sacré est propre à l’homme ; la bête ignore cette crainte. L’intelligence trouve dans cette terreur auguste son éclipse et sa preuve.

L’ombre est une ; de là l’horreur. En même temps elle est complexe ; de là l’épouvante. Son unité fait masse sur