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LA LUTTE

sissable ? Le souffle se fait massue, puis redevient souffle. Les vents combattent par l’écrasement et se défendent par l’évanouissement. Qui les rencontre est aux expédients. Leur assaut, divers et plein de répercussions, déconcerte. Ils ont autant de fuite que d’attaque. Ils sont les impalpables tenaces. Comment en venir à bout ? La proue du navire Argo, sculptée dans un chêne de Dodone, à la fois proue et pilote, leur parlait. Ils brutalisaient cette proue déesse. Christophe Colomb, les voyant venir vers la Pinta, montait sur le pont et leur adressait les premiers versets de l’évangile selon saint Jean. Surcouf les insultait. Voici la clique, disait-il. Napier leur tirait des coups de canon. Ils ont la dictature du chaos.

Ils ont le chaos. Qu’en font-ils ? On ne sait quoi d’implacable. La fosse aux vents est plus monstrueuse que la fosse aux lions. Que de cadavres sous ces plis sans fond ! Les vents poussent sans pitié la grande masse obscure et amère. On les entend toujours, eux ils n’écoutent rien. Ils commettent des choses qui ressemblent à des crimes. On ne sait sur qui ils jettent les arrachements blancs de l’écume. Que de férocité impie dans le naufrage ! Quel affront à la providence ! Ils ont l’air par moment de cracher sur Dieu. Ils sont les tyrans des lieux inconnus. Luoghi spaventosi, murmuraient les marins de Venise.

Les espaces frémissants subissent leurs voies de fait. Ce qui se passe dans ces grands abandons est inexprimable. Quelqu’un d’équestre est mêlé à l’ombre. L’air fait un bruit de forêt. On n’aperçoit rien, et l’on entend des cavaleries. Il est midi, tout à coup il fait nuit ; un tornado passe ; il est