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LA LUTTE

quelque gigantesque oiseau venait d’être plumé derrière ce mur de ténèbres. Il s’était formé un plafond de noirceur compacte qui, à l’extrême horizon, touchait la mer et s’y mêlait dans de la nuit. On sentait quelque chose qui avance. C’était vaste et lourd, et farouche. L’obscurité s’épaississait. Tout à coup un immense tonnerre éclata.

Gilliatt lui-même ressentit la secousse. Il y a du songe dans le tonnerre. Cette réalité brutale dans la région visionnaire a quelque chose de terrifiant. On croit entendre la chute d’un meuble dans la chambre des géants.

Aucun flamboiement électrique n’accompagna le coup. Ce fut comme un tonnerre noir. Le silence se refit. Il y eut une sorte d’intervalle comme lorsqu’on prend position. Puis apparurent, l’un après l’autre et lentement, de grands éclairs informes. Ces éclairs étaient muets. Pas de grondement. À chaque éclair tout s’illuminait. Le mur de nuages était maintenant un antre. Il y avait des voûtes et des arches. On y distinguait des silhouettes. Des têtes monstrueuses s’ébauchaient ; des cous semblaient se tendre ; des éléphants portant leurs tours, entrevus, s’évanouissaient.

Une colonne de brume, droite, ronde et noire, surmontée d’une vapeur blanche, simulait la cheminée d’un steamer colossal englouti, chauffant sous la vague et fumant. Des nappes de nuée ondulaient. On croyait voir des plis de drapeaux. Au centre, sous des épaisseurs vermeilles, s’enfonçait, immobile, un noyau de brouillard dense, inerte, impénétrable aux étincelles électriques, sorte de fœtus hideux dans le ventre de la tempête.

Gilliatt subitement sentit qu’un souffle l’échevelait. Trois