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LES TRAVAILLEURS DE LA MER

vent pour souffleur, une pierre pour enclume, pour art son instinct, pour puissance sa volonté.

Gilliatt entra ardemment dans ce sombre travail.

Le temps paraissait y mettre de la complaisance. Il continuait d’être sec et aussi peu équinoxial que possible. Le mois de mars était venu, mais tranquillement. Les jours s’allongeaient. Le bleu du ciel, la vaste douceur des mouvements de l’étendue, la sérénité du plein midi, semblaient exclure toute mauvaise intention. La mer était gaie au soleil. Une caresse préalable assaisonne les trahisons. De ces caresses-là, la mer n’en est point avare. Quand on a affaire à cette femme, il faut se défier du sourire.

Il y avait peu de vent ; la soufflante hydraulique n’en travaillait que mieux. L’excès de vent eût plutôt gêné qu’aidé.

Gilliatt avait une scie ; il se fabriqua une lime ; avec la scie il attaqua le bois ; avec la lime il attaqua le métal ; puis il s’ajouta les deux mains de fer du forgeron, une tenaille et une pince ; la tenaille étreint, la pince manie ; l’une agit comme le poignet, l’autre comme le doigt. L’outillage est un organisme. Peu à peu Gilliatt se donnait des auxiliaires, et construisait son armure. D’un morceau de feuillard il fit un auvent au foyer de sa forge.

Un de ses principaux soins fut le triage et la réparation des poulies. Il remit en état les caisses et les rouets des moufles. Il coupa l’exfoliation de toutes les solives brisées, et en refaçonna les extrémités ; il avait, nous l’avons dit, pour les nécessités de sa charpenterie, quantité de membrures emmagasinées et appareillées selon les formes, les