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LE LABEUR

en fer et en cuivre, « grande comme la chambre du guetteur de nuit », avec son mouvement, ses cylindres, ses barillets, ses tambours, ses crochets et ses pesons, son orbe de canon et son orbe de chaussée, son balancier horizontal, ses ancres d’échappement, ses écheveaux de chaînes et de chaînettes, ses poids de pierre dont un pesait cinq cents livres, ses sonneries, ses carillons, ses jacquemarts ; depuis cet homme qui fit ce miracle, et dont on ne sait plus le nom, jamais rien de pareil à ce que méditait Gilliatt n’avait été entrepris.

L’opération que rêvait Gilliatt était pire peut-être, c’est-à-dire plus belle encore.

Le poids, la délicatesse, l’enchevêtrement des difficultés, n’étaient pas moindres de la machine de la Durande que de l’horloge de La Charité-Sur-Loire.

Le charpentier gothique avait un aide, son fils ; Gilliatt était seul.

Une population était là, venue de Meung-sur-Loire, de Nevers, et même d’Orléans, pouvant, au besoin, assister le maçon de Salbris, et l’encourageant de son brouhaha bienveillant ; Gilliatt n’avait autour de lui d’autre rumeur que le vent et d’autre foule que les flots.

Rien n’égale la timidité de l’ignorance, si ce n’est sa témérité. Quand l’ignorance se met à oser, c’est qu’elle a en elle une boussole. Cette boussole, c’est l’intuition du vrai, plus claire parfois dans un esprit simple que dans un esprit compliqué.

Ignorer invite à essayer. L’ignorance est une rêverie, et la rêverie curieuse est une force. Savoir, déconcerte par-