Page:Hugues - Alexandre Corréard, de Serres, naufragé de la Méduse.djvu/21

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barrique aux extrémités desquels nous fixâmes des mouchoirs de différentes couleurs. Un homme monta au haut du mât et agitait ces petits pavillons[1]. Pendant plus d’une demi-heure nous flottâmes entre l’espoir et la crainte : les uns croyaient voir grossir le navire et les autres assuraient que sa bordée le portait au large de nous. Ces derniers étaient les seuls dont les yeux n’étaient pas fascinés par l’espérance, car le brick disparut. Du délire de la joie nous passâmes à celui de l’abattement et de la douleur…

« Enfin, pour calmer notre désespoir, nous voulûmes chercher quelques consolations dans les bras du sommeil. La veille, nous avions été dévorés par les feux d’un soleil brûlant. Ce jour-ci, pour fuir la vivacité de ses rayons, nous fîmes une tente avec le grand cacatois de la frégate. Dès qu’elle fut dressée, nous nous couchâmes tous dessous. Nous ne pouvions ainsi apercevoir ce qui se passait autour de nous… Après avoir passé deux heures, livrés aux plus cruelles réflexions, le maître canonnier de la frégate voulut aller sur le devant du radeau et sortit de dessous la tente. À peine eut-il mis la tête au dehors qu’il revint à nous poussant un grand cri. La joie était peinte sur son visage ; ses mains étaient étendues vers la mer ; il respirait à peine. Tout ce qu’il put dire, ce fut : Sauvés ! Voilà le brick qui est sur nous ! Il était en effet tout au plus à une demi-lieue ayant toutes ses voiles dehors et gouvernant à venir passer près de nous… »

Ce n’est point par hasard que les hôtes du radeau furent rencontrés par l’Argus. Les canots portant le gouverneur du Sénégal et le commandant de la Méduse étaient, dès le 9 juillet au soir, arrivés à Saint-Louis. On étudia les moyens les plus, prompts de secourir les infortunés qu’on

  1. C’est cet épisode que Géricault a représenté d’après les indications de Corréard. Celui-ci, debout près du mat, se présente de face et étend le bras gauche vers l’horizon.