Page:Huysmans - A Rebours, Crès, 1922.djvu/305

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magistral instrument sur la nappe et alors, le temps de réciter le bénédicité, et l’on aurait supprimé l’ennuyeuse et vulgaire corvée du repas.

Quelques jours après, le domestique présenta un lavement dont la couleur et dont l’odeur différaient absolument de celles de la peptone.

— Mais ce n’est plus le même ! s’écria des Esseintes qui regarda très ému le liquide versé dans l’appareil. Il demanda, comme dans un restaurant, la carte, et, dépliant l’ordonnance du médecin, il lut :

Huile de foie de morue 
 20 grammes
Thé de bœuf 
 200 grammes
Vin de Bourgogne 
 200 grammes
Jaune d’œuf 
 no 1.

Il resta rêveur. Lui qui n’avait pu, en raison du délabrement de son estomac, s’intéresser sérieusement à l’art de la cuisine, il se surprit tout à coup à méditer sur des combinaisons de faux gourmet ; puis, une idée biscornue lui traversa la cervelle. Peut-être le médecin avait-il cru que l’étrange palais de son client était déjà fatigué par le goût de la peptone ; peut-être avait-il voulu, pareil à un chef habile, varier la saveur des aliments, empêcher que la monotonie des plats n’amenât une complète inappétence. Une fois lancé dans ces réflexions, des Esseintes rédigea des recettes inédites, préparant des dîners maigres, pour le vendredi, forçant la dose d’huile de foie de morue et de vin et rayant le thé de bœuf ainsi qu’un manger gras, expressément