Page:Huysmans - Croquis parisiens.djvu/120

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C’est alors qu’après avoir avalé sa soupe, tout en roulant dans une quotidienne sauce rousse les tronçons filandreux d’un aloyau sans suc, le célibataire cherche à endormir l’horrible dégoût qui lui serre le gosier et lui fait lever le cœur.

Une première vision l’obsède tandis qu’il regarde, sans le lire, le journal qu’il a tiré de ses poches. Il se rappelle une jeune fille qu’il aurait pu épouser, il y a dix ans ; il se voit uni avec elle, mangeant de robustes viandes et buvant de francs bourgognes, mais le revers se montre aussitôt et alors se déroulent devant son esprit chagrin les étapes d’un affreux mariage. Il s’imagine assister, au sein de sa nouvelle famille, à l’échange persistant des idées niaises et aux interminables parties de loto égayées par l’énumération des vieux sobriquets qu’on donne aux chiffres. Il se voit aspirant après son lit et supportant, une fois couché, les attaques répétées d’une épouse grincheuse ; il se voit, en habit noir, au milieu d’un bal, l’hiver, arrêté dans le somme qu’il préparait par le coup d’œil furieux de sa femme qui danse ; il s’entend reprocher, une fois rentrés, la maussade attitude qu’il a tenue dans le coin des portes, il s’entend tout d’un coup enfin traité justement par le monde de cocufié...... et le dîneur absorbé frémit et mange avec plus de résignation une bouchée de l’affligeant fricot qui se fige sur son assiette.