Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/159

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

filer les voitures de maîtres et les fiacres, brandiller les charrettes de louage, pleines de meubles, tirées à la bricole par devant et poussées à bras par derrière, et il se répétait que parmi tous ces gens qui se croisaient et se pressaient, à cette heure, beaucoup se rendaient sans doute auprès d’une femme. Toutes, si laides et si mal bâties qu’elles soient, ont un homme qu’elles satisfont et bichonnent tout en le trompant, pensait-il aussi en assistant au froufrou des jupes ; les fillettes en tablier courant en avant de leurs mères, les cheveux blonds retroussés sur le front par un peigne et tombant sur le cou en gerbes, les mains poudreuses et les joues barbouillées de récentes larmes, l’aidaient même à rêver. Il voyait dans ces morveuses qui s’affineront avec l’âge, la souffrance future des mômes qui grandiront pour devenir à mesure plus bêtes.

Complètement abattu, les mains posées à plat sur les cuisses croisées, il contemplait le merveilleux et, terrible ciel qui s’étendait, au soleil couchant, par-delà les feuillages noirs des Tuileries ; il contemplait les taches crues des bâtiments neufs, le petit arc de triomphe découpé et pomponné comme un théâtre de marionnettes et presque collé, ce soir-là, sans perspective et sans air autour, contre les ruines dont les masses violettes se dressaient, trouées, sur les flammes cramoisies des nuages.

Puis son regard descendait et, vaguant autour de lui, se fixait sur le malheureux soldat en sentinelle. Il suivait son pas égal le long du Louvre. Est-ce que