Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/248

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


— André et Jeanne s’assirent. La salle à manger n’était guère chaude ; le froid humide des fins d’automne glaçait cette pièce, exposée au nord.

Ils trempèrent des mouillettes et burent une gorgée de vin, sans souffler mot. Les coques étant vides, André donna un coup de timbre ; Jeanne eut un malaise extraordinaire. Elle regardait le jeune homme, étonnée et presque chagrine et elle crispa ses doigts sur sa main comme pour l’empêcher de faire vibrer le timbre. André ne comprit plus. Jeanne paraissait plus intimidée que jamais.

Le coup sec appelant Mélanie la blessait. Il lui semblait que, déjeunant avec André, elle était complice de cet ordre bref. Les réflexions qui l’agitaient, la veille au soir, lui revinrent et elle fut dominée par un sentiment de pudeur et de gêne ; elle souffrait presque de se voir, elle, une femme du peuple, ayant eu des amants, servie comme une dame, par une femme du peuple honnête et elle était malheureuse et presque révoltée, de même que si elle avait vu commettre une injustice ou infliger à quelqu’un devant elle une humiliation parce que Mélanie n’étant pas une pauvre vieille femme et n’étant pas trop laide, la valait.

Elle baissa le nez, les yeux sur son assiette, craignant que cette bonne ne la considérât comme une catin et une intruse.

— Madame a peut-être froid aux pieds, dit Mélanie d’un ton obligeant et, sans attendre la réponse, elle apporta et glissa une chaufferette sous les pieds de Jeanne.