Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/268

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D’autres fois, quand Jeanne était venue de bonne heure, dans la matinée, André lui proposait d’aller prendre un peu l’air, après le dîner, et, par le froid sec, par ces temps où la lune luit sans taches dans un ciel bleu dur, ils filaient, à grands pas, dans la rue Saint-Honoré, Jeanne toute envolée dans son manteau de fourrures étroitement fermé, et ils s’engageaient, bras dessus, bras dessous, sous les arcades du Palais-Royal, stationnaient, une minute, devant les montres des orfèvres et, chassés par le vent, transis, ils se réfugiaient dans une brasserie allemande, située dans ces parages.

Là, enfoncés dans un divan, devant une table, ils demandaient, par gourmandise, de la choucroute, du jambon cru de Westphalie, des saucisses au raifort et du pain noir ; et l’appétit s’éveillait aux odeurs acidulées qui fumaient dans l’assiette, et la soif, aiguisée par le sel du pain et l’âcre sucre des baies de genièvre qu’ils croquaient dans la choucroute, les faisait lamper, à pleines chopes, le salvator de Munich, une bière magnifique, couleur d’acajou, huileuse et douce.

Alors Jeanne s’arrêtait de manger, pour rire, voyant la moustache d’André pleine d’une mousse blanche, semblable à de la crème. Engourdis par cette chaude atmosphère, aveuglés par ce passage ininterrompu de bocks, ils se sentaient des fantaisies d’ivrognes de goûter à toutes ces bouteilles, rangées en bataille sur un rayon, diaprées d’éclairs par des jets de gaz.