Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/344

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lui était presque impossible de parler maintenant, sa gorge était sans salive, sèche, et la pomme d’Adam allait et-revenait, fiévreusement, dans le cou. Il oublia Désableau, sa famille, tout, car la voix de sa femme l’avait assailli aux entrailles et l’intimité des rares heures charmantes de son ménage renaissait. Il revit Berthe, après le mariage, se laissant embrasser, au bas de la raie, sur les cheveux ; il la revit à table, roulant une boulette de mie de pain, entre ses doigts, au dessert ; il la revit, déshabillée, retenant d’une main sa chemise sur sa gorge, en montant dans le lit et un grand amollissement lui vint, une défaillance de toute fermeté, de toute alerte. Il eût voulu ne pas remuer, ne pas ouvrir la bouche, de crainte que la lente torpeur qui l’envahissait ne cessât.

Puis, ce fut plus fort que lui, il leva les yeux sur Berthe. Il était maintenant en face d’elle et le rayon de la lampe la frappait au visage, allumant les grains de jais de sa voilette, éclairant sous le tulle la figure en plein.

Il eut une brève secousse. Les regards tristes, le sourire douloureux de sa femme, le poignèrent. Des larmes lui emplirent les yeux, il fit un pas vers Berthe et, suffoqué, la serra dans ses bras, la baisant, éperdu, sur le front, les oreilles, les joues, balbutiant : « Va, ça ne fait rien, ça ne fait rien » , tandis que confusément, la tête sur l’épaule d’André, elle étouffait, geignant très bas comme une enfant qui pleure, la bouche dans son oreiller.

— Mon pauvre petit chat, fit-il, oubliant du coup les