Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/56

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veillée mortuaire, sinistre avec sa rangée blanche de lits, l’on se coulait au plus vite dans les draps, et l’on entendait les autres rentrer, aller près des pots rangés le long des fenêtres, pisser tant qu’ils avaient, chuchoter sous les menaces du pion gueulant dans ses couvertures,

Dire qu’il s’est trouvé des gens pour prétendre qu’on regrettait plus tard le temps du collège ! Ah non ! par exemple. Si malheureux que je puisse être, je préférerais crever que de recommencer cette vie de caserne, subir la tyrannie des poings plus gros que les miens, la rancune ignoble des pions !

— Les pions ! tiens, parlons-en de ceux-là ! Apitoyons-nous un peu sur leur sort. Leur vie est dure ? Soit. C’est une existence atroce que de surveiller et de faire éclore les vices d’un tas de polissons, de se lever et se coucher avec eux, à des heures stupides ? eh bien, après ? À part un ou deux qui attendent, dans ce dépôt, des jours meilleurs, je n’ai connu que des absinthiers, des gens travaillés par ces maladies qui se traitent spécialement devant les cours d’assises ! À propos, te rappelles-tu Bourat, dit « il faut que je sors » – c’est comme cela qu’il parlait sa langue celui-là ! – te le rappelles-tu avec son costume de misère, traîné dans tous les caboulots et les débits de prunes, son chapeau galeux et pelé, sa moustache limoneuse, son menton fleuri de boutons de vin, ses yeux qui suaient des luxures sales ? Il embrassait ceux qui n’avaient pas de barbe, raflait nos sous, confisquait notre tabac pour le fumer, vendait les livres