Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/71

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— Et allons manger, fit André que les craintes mélancoliques de Cyprien gagnaient. Tiens, après le déjeuner qui enterrait ma vie de garçon, je t’offre maintenant le repas de fin de mariage. Nous y demanderons du vin de Bourgogne et nous tâcherons d’y faire tremper et mollir toutes nos vieilles rancunes.

— Ça va ! dit Cyprien et, bras dessus bras dessous, ils franchirent la porte d’un restaurant, salués jusqu’à terre par un larbin dont les rouges fanons s’écrasèrent, en cette courbette, sur la cuirasse empesée de la chemise.

Ils s’assirent, vis-à-vis l’un de l’autre, étudiant la carte des mets, s’égarant dans la table des vins.

André lisait à mi-voix le nom des grands crus ; Cyprien l’écoutait, rêvait longuement sur chaque nom :

La romanée et le chambertin, le clos-vougeot et le corton faisaient défiler devant lui des pompes abbatiales, des fêtes princières, des opulences de vêtements brochés d’or, embrasés de lumière ! Le clos-vougeot surtout l’éblouissait. Ce vin lui semblait être le sirop des grands dignitaires. L’étiquette brillait devant ses yeux, comme ces gloires munies de rayons, placées dans les églises, derrière l’occiput des Vierges.

— Non, pas de ceux-là, dit-il ; prenons du vin moins élevé en grade. Voyons, dégringolons l’échelle des crus, arrivons aux bouteilles sans tralala et sans pose. Pas de grandes dames, elles ont fait leur temps ; cherchons des fifilles polissonnes et modestes, des bouteilles frottées d’élégance mais qui se laissent caresser à la bonne franquette !