Page:Huysmans - En menage - ed Fasquelle 1922.djvu/90

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

silence insolent de Berthe, sa hâte à faire desservir les plats, le ton aigre de son… « personne ne veut plus de gigot ? » accompagné d’un coup de timbre pour appeler la bonne, avaient mis André à la torture.

Il s’ingéniait à trouver des mots drôles, à égayer le repas, lançait des clins d’yeux à sa femme qui pétrissait suivant son habitude, une boulette de mie de pain entre ses doigts et se dispensait même de répondre aux politesses de son convive.

Tous les lieux communs avaient suivi leur cours. La conversation s’était épuisée sur un plat de Delft, pendu au mur. Ce repas, avalé au grand galop comme dans un buffet de chemin de fer, semblait malgré tout interminable. Quand il s’acheva pourtant, Cyprien, de plus en plus froissé par l’inattention persistante de Berthe, parvint à reprendre le dessus ; il se versa le vin qu’elle ne lui offrait pas, et les coudes sur la table, il se tourna du côté d’André, et tous deux balayant d’un commun accord l’amas des banalités qu’ils entassaient depuis la soupe, causèrent comme au bon temps. Ils se rappelaient de joyeuses anecdotes, riant franchement, sans plus s’occuper de la femme. Berthe jugea qu’il était temps d’intervenir. Elle dit d’un ton moitié rêche, moitié plaisant : voyons, monsieur, vous n’allez pas, je pense, rappeler à mon mari les aventures de sa vie de garçon ?

Elle coupa court à leur causerie. Ils gardèrent le silence pendant quelques minutes. André se dominait, résolu à ne pas aggraver encore par des disputes