Page:Huysmans - En rade.djvu/178

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morfil de l’esprit, rendait impossibles les sensations du raffinement. Il ne put relire Baudelaire et il dut se contenter de parcourir les journaux arriérés qu’il recevait ; et, bien qu’il n’y prît aucun intérêt, il les attendait avec impatience, espérant toujours, vers l’heure de midi, l’arrivée du facteur et des lettres.

Dans son désœuvrement, ce fabuleux pochard tint une place ; il le faisait parler, pendant qu’il récurait les plats et s’ingurgitait des lampées des vin ; mais la conversation de cet homme était des moins variées ; toujours, il se plaignait des longueurs de sa tournée et criait misère ; puis il débitait des cancans récoltés à Donnemarie ou à Savin, annonçant des mariages de gens que Jacques ne connaissait pas, avouant des panses pleines, surveillées par le curé, rattrapées à temps par le maire.

Jacques finissait par bâiller et le facteur, un peu plus saoul qu’en venant, partait sans trébucher, pataugeant dans les ornières et les flaques.

Jacques restait alors, pendant des heures entières, à regarder par la fenêtre tomber la pluie ; elle coulait sans discontinuer, rayant l’air de ses fils, dévidant son clair écheveau en diagonale, éclaboussant les perrons, claquant sur les vitres, crépitant sur le zinc des tuyaux, délayant plus