Page:Huysmans - En rade.djvu/196

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puisque la matière première serait abondante et ne coûterait, pour ainsi dire, que les frais de main-d’œuvre des exhumateurs et des chimistes.

Ah ! je sais bien des femmes du peuple qui seraient heureuses d’acheter pour quelques sous des tasses entières de pommades ou des pavés de savon, à l’essence de prolétaire !

Puis quel incessant entretien du souvenir, quelle éternelle fraîcheur de la mémoire n’obtiendrait-on pas avec ces émanations sublimées de morts ! — À l’heure actuelle, lorsque de deux êtres qui s’aimèrent, l’un vient à mourir, l’autre ne peut que conserver sa photographie et, les jours de Toussaint, visiter sa tombe. Grâce à l’invention des ptomaïnes, il sera désormais permis de garder la femme qu’on adora, chez soi, dans sa poche même, à l’état volatil et spirituel, de transmuer sa bien-aimée en un flacon de sel, de la condenser à l’état de suc, de l’insérer comme une poudre dans un sachet brodé d’une douloureuse épitaphe, de la respirer, les jours de détresse, de la humer, les jours de bonheur, sur un mouchoir.

Sans compter qu’au point de vue des facéties charnelles nous serions peut-être enfin dispensés d’entendre, le moment venu, l’inévitable « appel à la mère » puisque cette dame pourrait être là, et reposer déguisée en une mouche de taffetas ou