Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/19

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de ces plaintes, admettre que ce despote confond sa cause avec celle de Dieu, que ses adversaires sont les mécréants et les impies, que lui-même préfigure, d’après les docteurs de l’Eglise, la physionomie du Christ, mais, c’est égal, le souvenir de ses boulimies charnelles et les présomptueux éloges qu’il dédie à son incorrigible peuple, rétrécissent l’empan du poème. Heureusement que la mélodie vit hors du texte, de sa vie propre, ne se confinant pas dans les débats de tribu, mais s’étendant à toute la terre, chantant l’angoisse des temps à naître, aussi bien que celle des époques présentes et des âges morts.

Le « De Profundis » avait cessé ; — après un silence — la maîtrise entonna un motet du XVIIIe siècle, mais Durtal ne s’intéressait que médiocrement à la musique humaine dans les églises. Ce qui lui semblait supérieur aux œuvres les plus vantées de la musique théâtrale ou mondaine, c’était le vieux plain-chant, cette mélodie plane et nue, tout à la fois aérienne et tombale ; c’était ce cri solennel des tristesses et altier des joies, c’étaient ces hymnes grandioses de la foi de l’homme qui semblent sourdre dans les cathédrales, comme d’irrésistibles geysers, du pied même des piliers romans. Quelle musique, si ample ou si douloureuse ou si tendre qu’elle fût, valait le « De Profundis » chanté en faux-bourdon, les solennités du « Magnificat », les verves augustes du « Lauda Sion », les enthousiasmes du « Salve Regina », les détresses du « Miserere » et du « Stabat », les omnipotentes majestés du « Te Deum »? Des artistes de génie s’étaient évertués à traduire les textes sacrés : Vittoria, Josquin De Près, Palestrina, Orlando