Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/220

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— Emportez aussi les Évangiles, fit l’abbé qui arriva, sur ces entrefaites ; ce seront les célestes ampoules où vous puiserez l’huile nécessaire pour panser vos plaies.

— Ce qui serait également bien utile et vraiment en accord avec l’atmosphère d’une Trappe, ce serait de pouvoir lire, dans l’abbaye même, les œuvres de saint Bernard, mais elles se composent d’immaniables in-folios et les réductions et les extraits que l’on inséra dans des tomes de format commode sont si mal choisis, que jamais je n’eus le courage de les acquérir.

— Ils ont saint Bernard à la Trappe ; on vous prêtera ses volumes si vous les demandez ; mais où en êtes-vous au point de vue âme, comment allez-vous ?

— Je suis mélancolique, mal attendri et résigné. J’ignore si la lassitude m’est venue de tourner toujours ainsi qu’un cheval de manège sur la même piste, mais enfin, à l’heure actuelle, je ne souffre pas ; je suis persuadé que ce déplacement est nécessaire et qu’il serait inutile de ronchonner. — C’est égal, reprit-il après un silence, c’est tout de même drôle, quand je pense que je vais m’incarcérer dans un cloître, non, vrai, j’ai beau faire, cela m’étonne !

— Je vous avouerai, moi aussi, fit l’abbé, en riant, que je ne me doutais guère, la première fois que je vous rencontrai chez Tocane, que j’étais indiqué pour vous diriger sur un couvent ; — ah ! voilà, je devais évidemment appartenir à cette catégorie de gens que j’appellerai volontiers les gens-passerelles ; ce sont, en quelque sorte, des courtiers involontaires d’âmes que