Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/235

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abomine, car la vie du cloître est pour son existence à lui un constant reproche, continua Durtal ; pourvu que je ne perde pas encore des illusions, en voyant de près un monastère ! — mais non, je suis protégé, j’ai de la chance ; j’ai découvert, à Paris, l’un des seuls abbés qui ne fût ni un indifférent, ni un cuistre ; pourquoi ne serais-je pas en contact, dans une abbaye, avec d’authentiques moines ?

Il alluma une cigarette, inspecta le site par la portière du wagon ; le train dévalait dans des campagnes au-devant desquelles dansaient, dans des bouffées de fumée, des fils de télégraphe ; le paysage était plat, sans intérêt. Durtal se renfrogna dans son coin.

L’arrivée dans le couvent m’inquiète, murmura-t-il ; puisqu’il n’y a pas à proférer d’inutiles paroles, je me bornerai à présenter au père hôtelier sa lettre ; ah ! Et puis ça s’arrangera tout seul !

Il se sentait, en somme, une placidité parfaite, s’étonnait de n’éprouver aucune soûleur, aucune crainte, d’être même presque rempli d’entrain ; — allons, mon brave prêtre avait raison de me soutenir que je me forgeais des monstres d’avance… et il resongea à l’abbé Gévresin, fut surpris, depuis qu’il le fréquentait, de ne rien savoir sur ses antécédents, de n’être pas plus entré dans son intimité qu’au premier jour ; au fait, il n’aurait tenu qu’à moi de l’interroger discrètement, mais l’idée ne m’en est jamais venue ; il est vrai que notre liaison s’est exclusivement confinée dans des questions de religion et d’art ; cette perpétuelle réserve ne crée pas des amitiés bien vibrantes, mais elle institue une sorte de jansénisme de l’affection qui n’est pas sans charme.