Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/257

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Et subitement tous se levèrent et, dans un immense cri, le « Salve Regina » ébranla les voûtes.

Durtal écoutait, saisi, cet admirable chant qui n’avait rien de commun avec celui que l’on beugle, à Paris, dans les églises. Celui-ci était tout à la fois flébile et ardent, soulevé par de si suppliantes adorations, qu’il semblait concentrer, en lui seul, l’immémorial espoir de l’humanité et son éternelle plainte.

Chanté sans accompagnement, sans soutien d’orgue, par des voix indifférentes à elles-mêmes et fondues en une seule, mâle et profonde, il montait en une tranquille audace, s’exhaussait en un irrésistible essor vers la Vierge, puis il faisait comme un retour sur lui-même et son assurance diminuait ; il avançait plus tremblant, mais si déférent, si humble, qu’il se sentait pardonné et osait alors, dans des appels éperdus, réclamer les délices imméritées d’un ciel.

Il était le triomphe avéré des neumes, de ces répétitions de notes sur la même syllabe, sur le même mot, que l’Eglise inventa pour peindre l’excès de cette joie intérieure ou de cette détresse interne que les paroles ne peuvent rendre ; et c’était une poussée, une sortie d’âme s’échappant dans les voix passionnées qu’exhalaient ces corps debout et frémissants de moines.

Durtal suivait sur son paroissien cette œuvre au texte si court et au chant si long ; à l’écouter, à la lire avec recueillement, cette magnifique exoration paraissait se décomposer en son ensemble, représenter trois états différents d’âme, signifier la triple phase de l’humanité, pendant sa jeunesse, sa maturité et son déclin ; elle était, en un mot, l’essentiel résumé de la prière à tous les âges.