Page:Huysmans - En route, Stock, 1896.djvu/376

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paient, se muaient en des haleines furieuses qui lui buvaient la bouche.

Il regardait, malgré lui, ne pouvant se soustraire aux avanies imposées de ces viols, mais le corps était inerte, demeurait calme et l’âme se révoltait en gémissant ; la tentation était donc nulle ; mais si ces manigances ne parvenaient à lui suggérer que du dégoût et de l’horreur, elles le faisaient incomparablement pâtir, en s’attardant ; toute la lie de son existence dévergondée remontait à sa surface ; ces rappels de ruts avariés le crucifiaient. Jointe à la somme des douleurs accumulées depuis l’aube, la surcharge de ces souvenirs l’écrasa et une sueur froide l’inonda, de la tête aux pieds.

Il agonisa et soudain, comme s’il venait surveiller ses aides, vérifier si ses ordres s’exécutaient, le bourreau entra en scène ; Durtal ne le vit pas, mais il le sentit, et ce fut inénarrable. Dès qu’elle eut l’impression de la présence démoniaque réelle, l’âme trembla tout entière, voulut fuir, tourbillonna ainsi qu’un oiseau qui se cogne aux vitres.

Et elle retomba, épuisée ; alors, si invraisemblable que cela fût, les rôles de la vie s’intervertirent ; le corps se dressa, tint bon, commanda l’âme affolée, réprima, dans une tension furieuse, cette panique.

Très nettement, très clairement, Durtal perçut pour la première fois, la distinction, la séparation de l’âme et du corps, et pour la première fois aussi, il eut conscience de ce phénomène d’un corps qui avait tant torturé sa compagne par ses exigences et ses besoins, oublier dans le danger commun toutes les rancunes et empêcher celle qui lui résistait d’habitude de sombrer.